dimanche 19 mai 2013

Voici le résumé météo du mois d’avril 2013.
Le mois d’avril aura été plus froid, moins venteux et plus lumineux que la normale.
Nous avons eu 9 jours avec des chutes de neige, et 11 jours avec du chasse-neige. Ce mois d’avril se caractérise aussi des par la présence fréquente d’un mur de neige sur le continent observé 16 jours ce mois-ci.
La moyenne des températures moyennes est de -16,3°C, largement en-dessous de la normale qui est de -13,4°C. Le minimum observé est de -25,1°C (le record pour le mois d’avril étant de -29,3°C) et le maximum de -5°C (le record étant de +1.1°C).
On comptabilise,  ce mois d’avril, 21 jours où le vent a été supérieur à 60 km/h dont 12 au-dessus des 80 km/h, 2 au-dessus des 100km/h et 1 au-dessus des 140 km/h.
La rafale maximale a été enregistrée le 1er avril, elle est de 153 km/h bien en dessous des 211 km/h enregistrés le 09 avril 2012, rafale maximale  pour la période 1981-2013.


La centrale électrique de Dumont d’Urville.

Parmi les activités liées à la vie de la base, il y en a une essentielle et vitale qui se distingue des autres : la centrale électrique.
La centrale est certainement le point névralgique de la base, le plus sensible. Elle demande une attention particulière, une surveillance accrue et continue, un travail soigné et une réactivité très importante de la part de tout le personnel technique en cas de problèmes. Une personne y travaille en permanence de jour comme de nuit et surveille le bon fonctionnement de tous les équipements.
La base est autonome. Loin de tout, elle doit subvenir à ses besoins énergétiques, produire son électricité et son eau potable.
La centrale est équipée de 3 groupes électrogènes et d’un bouilleur fabricant de l’eau douce en distillant l’eau de mer.
Fred est le responsable de la centrale électrique. Il nous accueille toujours avec le sourire. Il aime nous présenter les installations, les énormes groupes électrogènes. En hiver les groupes produisent 1900 kilowatts par jour. Ils consomment 600 litres de gasoil tous les jours pour produire l’énergie électrique nécessaire.


La chaleur dégagée par les groupes électrogènes est utilisée pour distiller l’eau de mer grâce à un bouilleur. Des pompes puissantes amènent l’eau de mer à la centrale.  La saumure – reste de l’eau de mer non distillée et à forte concentration en sel – est envoyée dans des canalisations afin de réchauffer les tuyaux d’eau de mer de la station de pompage et d’eau douce dans les circuits de distribution qui partent à l’extérieur vers le séjour et le bâtiment de nuit, le 42.
Le bouilleur produit l’hiver 170 litres d’eau par heure, soit 4200 litres d’eau douce par jour. L’été, quand il y a plus de monde sur la base, la production est de 6000 litres par jour.



A tour de rôle chaque personne de l’équipe technique assure une permanence soit la journée, soit la nuit, afin de surveiller la bonne marche de l’ensemble du système.
Ce matin, c’est au tour d’Angel, l’électricien de Dumont d’Urville, d’assurer le tour de garde. Il regarde périodiquement avec beaucoup d’attention les indicateurs et surveille les alarmes. Si la pompe qui amène l’eau de mer à la centrale s’arrêtait, très vite l’eau gèlerait dans les canalisations et la remise en route serait très difficile. Un pareil accident serait catastrophique.
La centrale a été construite dans un couloir de vent. Elle est soumise, bien plus que les autres bâtiments, aux intempéries et aux vents violents. A chaque épisode neigeux, d’énormes congères se forment et la font disparaître sous une épaisse couche de neige.




Mercredi 8 mai.
En Antarctique aussi, le 8 mai est férié. A la station météo, les jours fériés sont des jours comme les autres. Le service est assuré à tour de rôle par chacun des 3 membres de l’équipe. Je ne suis pas de service aujourd’hui, la journée s’annonce ensoleillée et beaucoup parmi les hivernants veulent profiter de cette belle journée.
Je n’ai pas de mal à trouver quelques compagnons pour aller m’aérer et me changer les idées sur la banquise.
Quelques Mars et autres barres chocolatées prises au séjour juste avant le départ et me voilà parti pour une sortie de 4 heures 30 environ avec 3 autres hivernants.


Les sorties ont très souvent pour but d’aller à la rencontre de ces immenses montagnes de glaces. Toutes sont différentes par leur taille, leur forme, leur couleur. Aux pieds de ces bergs nous prenons conscience de notre fragilité.



Au pied d’un bloc de glace aux formes insolites une flaque glacée, témoigne de la présence d’une résurgence. La mer est à quelques 60 cm sous nos pieds.  Avec les mouvements de la mer, les marées, la pression des glaces, la banquise craque et se brise par endroit permettant ainsi à l’eau de remonter au-dessus de la couche de glace.


Par endroit, les cassures sont plus importantes, les plaques se séparent. C’est ainsi que l’on rencontre des minces zones d’eau libre, les rivières. Souvent masquées et recouvertes d’une mince couche de neige  elles forment des pièges redoutables pour les promeneurs que nous sommes. Il faut apprendre à les repérer, facile à dire, plus difficile dans la pratique.



Mercredi 8 mai, il est 16 heures,  comme dans beaucoup de communes en France, une cérémonie s’est tenue à Dumont d’Urville afin de commémorer la victoire des alliés sur l’Allemagne nazie et la fin de la seconde guerre mondiale en Europe. Nous avons écouté le discours officiel rédigé par le ministre chargé des anciens combattants et lu ici, en Terre Adélie, par Maxime, le chef de District et représentant du Préfet des Terres Australes et Antarctiques Françaises. Puis le drapeau français a été hissé. Moment solennel où chacun a respecté une minute de silence en mémoire de tous ceux qui ont donné leur vie pour la liberté.
Malgré les milliers de kilomètres qui séparent de la France cette petite île isolée en Antarctique, chacun ici exprime par sa présence son appartenance et son attachement à la nation, à son pays.



Mercredi 15 mai,  après une matinée maussade les stratocumulus – nom savant donné par les météos aux nuages bas souvent présents en Terre Adélie - se dissipent enfin un peu avant midi et laissent place à un soleil timide au-dessus de l’horizon. Il est 13h30, le soleil se couche désormais un peu avant 16 heures. Ça laisse un peu plus de 2 heures pour sortir. En ce mois de mai qui voit ses journées raccourcir de 8 à 10 minutes chaque jour, toute heure de soleil est bonne à prendre. Dans un mois le soleil se lèvera à 11h40 et se couchera à 13h42.
Me voilà parti pour une marche de 8 kilomètres, direction nord-ouest vers quelques bergs encore inconnus, en tous cas pas encore approchés par les hivernants de la 63.



La journée s’achève par un spectacle de lumières. C’est grandiose, le ciel s’enflamme et cela va durer toute la nuit. Dehors il fait -20°C. Qu’importe, dans quelques mois ces illuminations nocturnes me manqueront, alors je profite de ces instants précieux le plus longtemps possible.


dimanche 5 mai 2013

Un peu de poésie.

A des milliers de kilomètres de Toulouse, posée sur un minuscule rocher, arrosée par des vents violents, maltraitée par les tempêtes et les intempéries,  perdue ou abandonnée aux abords de ce continent sauvage et hostile qu'est l'Antarctique, il existe une petite cabane en métal, décrépite et usée par les années. Ici tout le monde la connait, on y passe devant quelques fois pour se rendre au sud de l'île afin de visiter quelques installations scientifiques ou tout simplement pour partir se balader sur la banquise, mais personne ne s'y arrête jamais.
On l'appelle la cabane Chantal. Son nom figure encore au-dessus de la porte.
Je prends quelque fois le temps de m'y arrêter et de la regarder. Elle est là, depuis des années, comme un vestige du passé, toujours à la même place, à regarder la mer. Elle aura vu défiler bon nombre de missions. Parfois, lorsque le vent souffle dans ses antennes, elle semble murmurer quelque chose d'inaudible, quelque chose que personne n'écoute ou n'entend.
Cette cabane, je l'ai prise en photo car elle fait partie de l'histoire de la base.


samedi 4 mai 2013

Vendredi 19 avril.
Parmi les activités scientifiques menées à Dumont d’Urville il en existe une, assez singulière, en tous cas peu connue, mais qui est très importante pour la surveillance de notre planète.
Mathilde travaille au laboratoire de géophysique, elle est responsable du lidar.
Le LIDAR,  l’acronyme de "light detection and ranging". Cet instrument fonctionne comme un radar mais pour des longueurs d’ondes centrées sur le visible, du proche ultra-violet à l’infra-rouge.


Installé à Dumont d’Urville en 1989 il servait au début de son exploitation à mesurer la présence d’aérosols dans la haute atmosphère. En 1991, l’appareil est modifié afin de pouvoir également mesurer le taux d’ozone dans la stratosphère, ceci dans le but de surveiller le fameux trou d’ozone dans les régions polaires de l’hémisphère sud.
Le système se décompose en 2 parties, une partie émission et une partie réception.
Un faisceau lumineux stroboscopique est émis à la verticale. Ce faisceau émis va permettre d’effectuer des mesures à distance et résolues en altitude.  La lumière émise se diffuse au contact des particules rencontrées et c’est la diffusion arrière appelée rétrodiffusion, que l’on capte sur le récepteur, qui sert à déterminer les propriétés du milieu traversé.
Le temps entre l’émission et la réception détermine l’altitude des particules rencontrées.


En mesurant la quantité de lumière rétrodiffusée en fonction de l’altitude, on obtient ainsi des profils verticaux.
Mathilde nous parle des PSC « Polar Stratospheric Clouds », en français les nuages stratosphériques polaires, situés au-dessus de la troposphère. Ces nuages se forment lors de la présence du vortex polaire (tourbillon dépressionnaire situé au-dessus de l’Antarctique) lorsque les températures avoisinent les -75°C à la tropopause. La tropopause est la limite entre la troposphère et la stratosphère. Dans les régions polaires, cette limite se situe entre 8 et 10 kilomètres d’altitude.
A la surface de ces nuages formés de cristaux de glace on observe deux réactions chimiques. Des composés tels que les chlorofluorocarbones (que l’on nomme aussi dans un langage plus médiatique les CFC) ou les bromures de méthyle, libèrent du chlore ou du brome et sous l’action du rayonnement solaire, le chlore ainsi libéré détruit les molécules d’ozone. C’est en hiver que le chlore est libéré, en revanche c’est au début printemps austral, aux mois de septembre et d’octobre que l’on assiste à une chute brutale de l’ozone stratosphérique entre 14 et 20 kilomètres d’altitude.
Dès la fin du printemps, lorsque la circulation atmosphérique change et que l’air antarctique se mélange avec de l’air venu du nord, l’amincissement de la couche d’ozone est moins important.
C’est en 1985 que la notion du trou d’ozone au-dessus de l’Antarctique prit sa pleine dimension. Le phénomène avait été pressenti auparavant, mais non confirmé en raison de suspicions à l’égard de la qualité des mesures effectuées.
Aujourd’hui, grâce à des mesures par satellites, il a été clairement établi que la couche d’ozone au-dessus de l’Antarctique subissait une diminution importante au cours du printemps austral et que ce phénomène avait tendance à s’accentuer d’une année sur l’autre.
Toutes les nuits, lorsque les conditions atmosphériques sont propices à des mesures, Mathilde s’isole dans son shelter. Elle va travailler sur 2 types de sondage. Tout d’abord elle regarde la présence d’aérosols puis elle mesure la quantité d’ozone présent dans la haute atmosphère.
Le lidar de Dumont d’Urville et les sondages ozone réalisés par Météo-France  font partie d’un réseau international de surveillance de la stratosphère et de la haute troposphère, le réseau NDACC.



Toutes les nuits, lorsque Mathilde travaille, on observe un rayon vert qui s’échappe du petit shelter situé à proximité de la station météo et qui  disparait vers l’infini.

Dimanche 21 avril.
Les dimanches à DDU ne sont pas des jours comme les autres. Si la station météo reste ouverte en journée tous les jours de la semaine, en revanche ce jour est important pour les hivernants travaillant dans l’entretien des bâtiments et l’infrastructure de la base. C’est le jour de repos hebdomadaire qui cadence la vie de Dumont d’Urville,  journée durant laquelle certains en profiteront pour se reposer ou se détendre au travers d’activités diverses et d’autres pour partir à la découverte de la banquise et des animaux qui l’habitent.
Pour Dominique, le cuisinier de DDU, ce n’est pas non plus un jour de travail comme les autres. Le matin de très bonne heure, alors que la base dort encore,  il est déjà dans sa cuisine et  s’affaire à nous préparer quelque chose de spécial, à faire en sorte que cette journée ne soit pas une journée ordinaire. Fort de son expérience dans la restauration, il met tout son talent au service de la base afin d’égayer notre quotidien. Qu’il neige ou qu’il vente, il nous fait oublier l’instant d’un repas nos soucis, nos tracas, notre isolement. Jamais à court d’idées, tous les dimanches il nous offre un moment de bonheur, un repas de fête.





 Ce midi, Mathilde et moi étions de service base. Nous avons dressé la table avec une jolie nappe blanche, nous avons sorti les assiettes des jours de fête et avons mis les verres à pied.


Lundi 29 avril.
On ne se lasse jamais de regarder la banquise. Elle nous fascine, elle nous envoûte peut-être, elle nous appelle sûrement. Il ne se passe pas une semaine sans que j’y aille me promener  à la rencontre des petits îlots rocheux et de toutes ces montagnes de glace aux formes sculptées,  surprenantes et extraordinaires.
La météo nous ayant offert une très belle journée, glaciale certes mais sans vent, Dominique, Michel et moi sommes partis pour la journée équipés chacun d’un sac à dos contenant notre kit de sécurité, un change complet, une corde, une barre de céréales, une barre chocolaté pris à la hâte au séjour quelques minutes avant le départ et un thermos de café gentiment préparé par Julien le plombier de la base. Notre bâton de marche à la main, nous servant davantage  à sonder la couche de glace qu’à faciliter notre marche, nous sommes partis vers le nord quittant l’île des pétrels par la descente en pente douce qui rejoint la croix Prud’Homme. Cette croix installée ici il y a plusieurs années en mémoire d’un ingénieur de la météo disparu alors qu’il était parti dans la tempête faire  des relevés de températures, semble regarder la mer de glace et veiller sur la base.


Nous avons marché durant presque 4 heures et parcouru plus de 12 kilomètres sur une banquise à la surface parfois dure, parfois gelée et glissante, parfois recouverte d’une épaisse couche de neige dans laquelle nous nous enfoncions jusqu’aux genoux. Des icebergs gigantesques éclairés par un soleil rasant et aux couleurs bleutées semblaient saluer notre passage.